La rideuse [Sugiyama Yukino & Sanada Atsuhito]

Comme suspendue entre la terre et l’espace, la musique comme seule amie, la rideuse regarde le ciel, une main tendue, comme pour la plonger dans cette immensité bleue. Lentement, la gravité reprend ses effets et son corps retombe, tête la première. Une dernière torsion du corps lui permet de terminer son backflip, ses rollers claquent violement sur la rampe, la voici de nouveau sur le sol. Un dérapage lui permet de s’arrêter sans mal.

Epuisée, Yukino fait glisser son casque jusqu’à son cou sans couper le son. Une goutte de sueur trace son chemin le long de son visage et vient mourir à la naissance de sa poitrine. Voila maintenant deux heures qu’elle s’entraîne sans faire de pause. Pour une fois, la musicienne n’a pas passée sa journée au club à jouer de la basse. Une volonté soudaine de venir au skate park l’avait prise à la fin des cours et à peine le temps de manger une pomme qu’elle était déjà à enchaîner quelques figures. Quelques skateurs étaient arrivés petit à petit et semblaient désireux de montrer tous leurs talents à la jeune fille qui, il faut le dire, n’en avait rien à foutre… Certains avaient apparemment décidés de se lancer dans une petite compétition contre la seule représentante féminine, pour l’instant, du coin.

*Skateurs contre rideuse, ils ont consciences que c’est stupide ou… ?*

Un sifflement lui fait tourner la tête, action bien vite suivie d’un soupire de lassitude à la vue de l’auteur du dit bruit. Un mec, skate sous le bras, au sommet d’une rampe, qui ne semble avoir rien de mieux à faire que saluer sa performance par un vulgaire son que l’on utilise pour appeler son chien. Le regard légèrement méprisant, la jeune fille roule tranquillement jusqu’à son sac, en sort une bouteille d’eau qui se vide rapidement. La lycéenne s’étire avant de se décider de retourner s’amuser encore un peu. Casque audio de nouveau sur les oreilles, ses roues la porte de nouveau vers le ciel dépourvus de nuages.

Un petit détail de forme circulaire bondit devant les yeux surpris de la rideuse à l’atterrissage d’un simple saut, claqué un peu brutalement peut être... Son esprit percute que cet élément essentiel provient directement du niveau de son pied droit. Par miracle, sa main jaillit et s’en saisit alors que sa chut s’entame. Une poussé instinctive des jambes lui fait entamer un frontflip. Sa tête manque de s’encastrer dans le bitume et ne fait par chance que l’effleurer.
Violement, après la réussite improbable de cette figure incontrôlée, son dos rencontre le sol. Quelques secondes sonnée, Yukino se rend compte que ses rollers, toujours attachés à son corps, sont venus s’écraser de part et d’autre de quelqu’un sans le toucher. Un soupir de soulagement de ne pas avoir éclatée quelqu'un franchit ses lèvres. Le visage neutre, la jeune fille lève les yeux vers la personne qui vient de manquer de se manger un coup pour le moins violent à en juger par le son produit et la douleur qui assaille un peu le cerveau de la Sugiyama. Sans trop réflechir, elle prend la parole :

-Veuillez m'excuser, vous n'avez rien ?

Encore un peu dans les vapes, le visage comme le corps, à contre-jour en plus, ne sont pas très clairs devant ses yeux. Une petite prière silencieuse est faite pour que ce soit un individu pas chiant...

Une journée comme une autre, et une subite envie de passer le temps ailleurs que dans ce bahu miteux. Un besoin irrépressible de retrouver ses racines avait immanquablement envahi notre jeune enseignant. C'était de cette façon qu'il s'était retrouvé dans le centre ville. Ce n'était pas "sa" ville, mais le fond était le même. S'il avait su cacher ses origine au sein de sa profession, il n'en restait pas moins ce qu'il était. Annonce bien étrange, mais la cicatrice qui striait son visage n'était pas là par hasard. Elle l'empêchait d'oublier qui il était.

C'est d'ailleurs presque instinctivement qu'il se dirigea vers le skatepark, lieu souvent fréquenté par le jeune homme à l'insu de ses élèves. Il restait très secret concernant ses activités extra scolaire. Ceci dit, il était loin de s'imaginer tomber sur l'une d'elle à cette heure. Quoi que, reflexion faite, il n'était que 17h environ. Le jour déclinait déjà, c'était affligeant. Quoi que, pour le coup, c'était surtout elle qui lui était tombé dessus. Quittant la rampe du regard l'espace d'un instant, fouillant dans la poche kangourou de son sweat à capuche, il en ressorti un paquet de clope au moment ou une ombre masqua subitement la lumière du soleil, quasiment inexistante à cause de la couche de nuages qui flottait ce jour là. Un bruit subit, puis plus rien. Sans bronché, il avait baissé les yeux un peu suspicieux, presque glacial en fait. « Merci mademoiselle Sugiyama, je me porte très bien...Vous par contre... » Lança t-il en ricanant brièvement, glissant sa clope entre ses lèvres avant de lui tendre la main. Il ne portait pas de chemise pour une fois, sa tenue différait grandement de celle portée au lycée c'était certain. Mais de toute façon, la ville appartenait à tout le monde, il n'allait pas réprimander la demoiselle parce qu'elle l'avait vu ainsi...

Quoi qu'il en soit, les rires moqueurs des skateurs qui se trouvait là l'agacèrent un peu. Il leur lança un regard suffisamment glacial pour qu'ils se méfie. Il n'avait aucune réputation ici, mais rien ne l'empêchait de s'en forger une si besoin était. Quelque chose lui disait qu'il n'aurait aucun mal à cela. Ceci dit, ça l’ennuierait de devoir le faire en présence d'une élève... Il choisi donc de ne pas lancer la moindre vanne qui aurait pu éventuellement provoqué la bande de dégénérés qui se trouvait là. « Rien de cassé? » Reprit-il alors en reportant son regard sur la demoiselle.

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Sans se poser plus de questions que cela et sans prêter attention au regard glacial de son professeur, Yukino se saisit de la main tendue et se retrouve à nouveau sur ses pieds. La jeune respecte son professeur, qui lui a permit, en très peu de temps, d'obtenir de bon résultats en mathématiques et ne se formalise donc aucunement du ricanement de ce dernier.

-Merci, je vais bien.

Rapidement, la rideuse s'examine, constate qu'elle ne semble pas s'être sévèrement blessée, regarde si son casque et son mp3 sont en bon état (heureusement oui) et enfin pose les yeux sur sa roue. Celle-ci, toujours dans sa main, ne parait pas cassée. Un coup d’œil derrière elle lui permet de voir, non loin, une vis de roller, probablement la sienne, à laquelle il manque la tête...

*Qualité de m... Il va m'entendre pour m'avoir vendu ça...*

Le souvenir que Sanada sensei est actuellement devant elle lui revient finalement en mémoire. Complètement indifférente à la tenue et la présence de ce dernier en ce lieu, la jeune étudiante l'avait légèrement oublié. Les yeux de la musicienne sont attirés quelques secondes par la clope avant qu'elle ne glisse une sucette dans sa propre bouche.
Un bruit en provenance de l'endroit où sont posées ses affaires attire instantanément son attention et lui fait découvrir qu'un jeune crétin est en train d'essayer de lui piquer sa basse. D'un réflexe fulgurant elle lance sa roue en direction de la tête du voleur, qui fait mouche, plus par chance qu'autre chose, en plein dans son œil, alors qu'il avait tourné la tête au sons du cri de rage de la propriétaire de son méfait. Démontrant d'une agilité surprenante, la demoiselle, sur un seul roller, se dirige vers l'abrutis avec un regard pour le moins meurtrier. Face au désormais borgne, et alors qu'elle allait lui faire littéralement manger ses dents, Yukino jette un coup d’œil en direction de son professeur, ce qui a pour effet de retenir son coup de pied. Fermement, elle reprend donc simplement sa basse, ainsi que sa roue, et se dirige vers le banc à côté duquel son sac est posé. A moitié calmée, la bassiste sort ses clés Allen et une nouvelle vis afin de replacer sa roue à la position qui lui est destinée. Un regard à liquéfier quelqu'un en direction des skateurs les dissuadent de venir aider leurs pote encore accroupis non loin à pleurnicher, sa main plaquée sur son œil.
Rageuse, quelques mots sortent d'entre ses lèvres alors que ses dents s'acharnent sur la sucrerie :

-Et en plus, ça va me retomber dessus, merci espèce de pauvre naze...

Finalement, le jeune fille prends conscience de son écart de conduite radicalement à l'opposé de son calme habituel et est prise d'une profonde lassitude.

-La solitude, c'est quand même vachement bien... Dit elle en soupirant.