半半世紀の男 S'appeler Shodō et devenir écrivain, ça relève du jeu de mots de bas étage. "Calligraphie". Il n'aime même pas ça, la calligraphie. Naoki aime les lettres, mais pour leur sens, pas pour leur qualité décorative... à force d'accueillir avec une patience de plus en plus relative les divers commentaires supposément comiques sur le lien entre son patronyme et son choix de carrière, il est devenu blasé, voire légèrement cynique. Vieux avant l'âge, ont même grogné certains, ce que son goût prononcé pour le port du jinbei, une canette de bière à la main, et sa manie de râler à la moindre -absence d'-occasion ne sont pas venus démentir. Manie qui lui a d'ailleurs permis de se faire vaguement connaître dans le milieu des revues de critiques littéraires et d'effectivement signer quelques bouquins, donc finalement, si tout ce qui s'apparentait à un mauvais gag dans son existence se résumait à son nom ridicule, il aurait pu s'en contenter. Mais non, évidemment. Sa carrière littéraire prenant une tournure qui ne lui convenait plus vraiment, il avait fini par se consacrer à l'enseignement. L'enseignement, pour lui, c'était vraiment une vocation, il en aurait presque été ouvertement enthousiaste, et il n'était que très rarement enthousiaste. Voire jamais, en fait. Toujours est-il qu'il était arrivé plein d'espoir devant ses premiers élèves, prêt à leur transmettre sa passion pour l'écrit et mener certains vers un futur moins bancal que le sien. … Tu crois qu'ils en auraient eu quelque chose à foutre, ces petits cons ? Cette pensée spontanée et élégante, qui traversa alors son esprit, était depuis devenu sa devise personnelle. L'axe qui orientait sa vie professionnelle. Quoi qu'il raconte, que ce soit un exposé passionnant sur les tenants et aboutissants de la littérature classique ou un monologue incohérent sur le contenu de son cendrier de poche, pas un étudiant ne dressait l'oreille. Ça n'avait aucun sens. Quand on ne fait que des choix dont les issues sont d'une absurdité accablante, on finit par désespérer. Shodō Naoki est donc un homme désespéré. Complètement désespéré. Profondément désespéré. Pour s'en distraire, il aime bien donner des cours où il raconte n'importe quoi, personne ne s'en rend jamais compte. Sauf parfois les directeurs des établissements qui l'embauchent, et qui l'invitent généralement à prendre la porte. Mais en intégrant l'équipe pédagogique du lycée Kaizoku, il a eu le coup de chance de sa vie : la directrice n'est jamais là.